quarta-feira, 10 de novembro de 2021

O "Estado de Direito" Contra a Democracia...?

Pode o "Estado de Direito" tornar-se num atentado à Democracia e colocá-la em causa? O recente caso da ex-ministra dos Assuntos Sociais e da Saúde do governo Macron aponta nesse sentido como sublinha a Profª Dominique Schnapper que, além de directora de estudos na École des Hautes Études en Sciences Sociales, tem assento no Conselho Constitucional francês. O hábito de tomar "estado de Direito" como sinónimo de Democracia parece ter os dias contados...


L’ordre politique et l’ordre pénal

Dominique Schnapper (Directrice d'études à l'EHESS et membre honoraire du Conseil Constitutionnel) | Telos | 23 septembre 2021

La récente mise en examen d’Agnès Buzyn, au sujet de la gestion de la crise Covid, pose de graves problèmes. Confondre l’ordre du politique et l’ordre du pénal contrevient au principe même de la démocratie. Le droit pénal ne saurait être utilisé pour l’évaluation et la critique des politiques. La pluralité des ordres, des idées et des pouvoirs appartient au patrimoine intellectuel et politique de la démocratie; c’est la distinction entre l’ordre politique et l’ordre religieux, entre la vie publique et la vie privée, entre les différents pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, qui spécifie la démocratie et l’oppose aux régimes théocratiques ou totalitaires.


«Il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.» (Montesquieu). Comme le développe Pierre Manent, «La démocratie est une organisation des séparations (…) c’est son trait le plus distinctif.

Elle met des distinctions, et même des séparations là où les autres régimes n’en mettent pas ou n’en mettaient pas. (…) Séparation des professions ou division du travail; séparation des pouvoirs; séparation de l’Eglise et de l’Etat; séparation de la société civile et de l’Etat; séparation entre le représenté et le représentant; séparation des faits et des valeurs, ou de la science et de la vie.».

C’est pourquoi la mise en examen d’Agnès Buzyn par la Cour de justice de la République est une grave décision qui remet en question un principe fondateur de l’ordre démocratique, la séparation du politique et du judiciaire.

Cette nouvelle vient à la suite d’autres épisodes, déjà surprenants. La commission d’instruction de la Cour de justice de la République avait envoyé une équipe d’enquêteurs perquisitionner le domicile personnel et les bureaux du Premier ministre, Edouard Philippe, et du ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, le 15 novembre 2020, à un moment où leurs forces auraient sans doute dû être consacrées à la politique sanitaire.

Le 10 septembre 2021, Agnès Buzyn, elle, qui fut ministre de la Santé jusqu’au 16 février 2020, s’est vue mettre en examen, pour «mise en danger de la vie d’autrui» (article 221-1 du code pénal), encourant une peine d’un an de prison et de 15000 euros d’amende, et imposer le statut de témoin assisté «pour abstention de combattre un sinistre» (article 221-7 du code pénal), encourant une peine de deux ans de prison et 30 000 euros d’amendes.

Ces articles du code pénal portent sur des comportements intentionnels et personnels. Les étendre à l’action politique relève d’une construction juridique surprenante. Personne ne peut imaginer que la médecin, ministre de la santé, ait eu l’intention de mettre en danger la vie d’autrui ou de s’abstenir de combattre un sinistre. Il est vrai que l’application des textes par le juge conduit parfois à les étendre à des conditions de la vie commune qui n’étaient pas prévues par le législateur d’origine. Un exemple bien connu des juristes est celui des conséquences des accidents de voiture: la jurisprudence tire des textes des conséquences que le législateur ne pouvait pas imaginer. Mais interpréter la loi ne signifie pas la dénaturer. Ces extensions ne sauraient remettre en question des principes fondateurs de l’ordre démocratique – d’autant que, contrairement aux politiques, le juge, inamovible, n’est responsable devant personne.

Un ministre, d’autre part, n’agit pas seul. Ses actes s’inscrivent dans un fonctionnement global de l’Etat. Sa politique est formellement acceptée par le Conseil des ministres. En pratique, ses décisions sont canalisées par des experts et portées par une administration dans laquelle interfèrent de nombreux fonctionnaires. Ses initiatives – ou abstentions d’agir - sont en bonne partie induites par la politique générale que mènent le Premier ministre et le président de la République. Faudrait-il tous les incriminer?

Il est probable que des erreurs dans la gestion de la crise sanitaire ont été commises, tout au moins ce qui apparaît rétrospectivement comme des erreurs en fonction de l’avancement de la connaissance scientifique et de l’expérience de la pandémie dans le monde. Les responsables politiques, au début de l’épidémie, devaient prendre des décisions dans l’urgence devant une situation sanitaire mal connue puisqu’elle semble n’avoir pas eu de précédent. Les experts les plus reconnus, jusqu’à l’Organisation mondiale de la santé, donnaient des informations et des instructions qu’ils contredisaient quelques semaines plus tard. Ce qui est normal étant donné la progression de la connaissance, que seule rend possible une suite d’erreurs et d’hésitations progressivement corrigées. Les vérités scientifiques sont provisoires. Pouvait-on exiger plus de compétence de la part des politiques que des médecins et des épidémiologistes? Au fur et à mesure que la recherche et l’expérience établissaient de nouvelles données, on pouvait juger effectivement inadéquates des décisions qui avaient été prises auparavant par les gouvernants.

De plus, les décisions du politique ne peuvent se déduire mécaniquement de la connaissance scientifique. Les médecins se soucient évidemment de la santé de la population, mais les responsables politiques doivent aussi prendre en compte l’activité économique, les attentes de la population, les inégalités sociales. Ils doivent faire des choix douloureux entre des considérations différentes et souvent conflictuelles. Et ils doivent le faire sous la pression des contraintes de la vie collective et, en démocratie, de l’opinion publique. Protéger plutôt les jeunes ou les vieux, la production économique ou la culture, la santé physique ou la santé psychologique ? Ils ne peuvent donner une valeur absolue aux exigences sanitaires et négliger les conséquences de leurs décisions sur les différents groupes sociaux, sur les libertés publiques et sur l’intérêt collectif. Ils doivent se soucier de l’acceptabilité de leurs décisions. Leurs décisions sont toujours critiquables – elles sont critiquées – mais elles ne relèvent pas de l’ordre pénal. Une erreur, même patente rétrospectivement, n’est pas en tant que telle un délit.

Les commissions parlementaires pourront mettre au jour des responsabilités, celles-ci sont anciennes et multiples. L’absence de provision de masques au début de la pandémie est le résultat d’une série de décisions, ou d’absence de décisions par des ministres ou des hauts fonctionnaires successifs à la suite de l’application trop allante du principe de précaution par Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, lors de la menace de la pandémie HI-N1 en 2009/2010. Ce qui est apparu ensuite comme une grave défaillance de l’Etat ne peut être attribué seulement à la ministre nommée depuis moins de trois ans. Il s’agit là d’erreurs ou d’insuffisances d’ordre politique. Il est normal et souhaitable que des enquêtes parlementaires les éclaircissent pour éviter autant que faire se peut qu’elles se reproduisent dans l’avenir. Ces enquêtes devraient déboucher sur des propositions de réformes et non sur un procès personnel contre certains des membres de l’administration et des gouvernants.

Les défaillances dans les politiques publiques sont inévitables, les gouvernants sont contraints d’agir dans l’incertitude, leurs informations sont partielles ou biaisées et les conséquences de leurs décisions souvent imprévues parce qu’elles sont en tant que telles imprévisibles. Le juge pénal qui, par son intervention, transforme ces erreurs en actes répréhensibles n’a, pour ce faire, ni la compétence ni la légitimité démocratique qu’apporte l’élection.

Les erreurs des responsables politique doivent être politiquement sanctionnées, puis corrigées par des réformes politiques et administratives. Mais confondre l’ordre du politique et l’ordre du pénal est contraire au principe même de la démocratie.

De plus, cette confusion ne peut qu’affaiblir les gouvernements démocratiques soumis à la contestation continue du fait de la perte de confiance dans les institutions, que renforcent médias et réseaux sociaux. Remettre en question l’autorité de l’Etat librement consentie dans l’intérêt bien compris de tous, c’est s’attaquer à la séparation des ordres qui est l’un des fondements des sociétés de liberté politique. Est-ce souhaitable dans un monde où les démocraties sont menacées par des monstres froids qui, de la Chine aux islamistes en passant par de nombreux autocrates, veulent la détruire?

Les erreurs politiques, quand elles existent, doivent être sanctionnées politiquement et non pénalement. Cessons de confondre le politique et le pénal.

https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/lordre-politique-et-lordre-penal.html

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