Franck DeCloquement | Atlantico | 23 avril 2020
Atlantico: Le régime chinois développe partout dans le monde une véritable «diplomatie de la santé», et Pékin s’attache plus que jamais à pousser ses pions au sein des institutions internationales comme l’OMS, s’attirant au passage les foudres de Washington. Cette offensive est-elle le début d’une nouvelle «guerre froide» avec le monde occidental?
Franck DeCloquement: Lorsque Alexandre Adler publie en 2002 «J’ai vu finir le monde ancien», son titre était particulièrement juste, et il pourrait tout autant l’être aujourd’hui.
Atlantico: Le régime chinois développe partout dans le monde une véritable «diplomatie de la santé», et Pékin s’attache plus que jamais à pousser ses pions au sein des institutions internationales comme l’OMS, s’attirant au passage les foudres de Washington. Cette offensive est-elle le début d’une nouvelle «guerre froide» avec le monde occidental?
Franck DeCloquement: Lorsque Alexandre Adler publie en 2002 «J’ai vu finir le monde ancien», son titre était particulièrement juste, et il pourrait tout autant l’être aujourd’hui.
L’épidémie de COVID19 est une surprise stratégique notable, et un point de basculement patent pour notre monde né de la fin de la Guerre froide. Un monde structuré autour de la mondialisation des échanges et l’explosion du terrorisme islamique.
Par ailleurs, les nouveaux gisements de richesses que constituent les biotechnologies sont avant tout alimentés par les datas, cette matière première du nouveau siècle. L’après-crise qui se dessine d’ores et déjà ressemble à une lutte sans merci pour leur contrôle. Plus que le virus en lui-même, la Chine, par son exploitation politique actuelle de la pandémie, fait entrer le monde dans cet autre temps qu’est «La guerre hors limites» théorisée par deux officiers Chinois: Wang Xiangsui, Qiao Liang.
Ainsi les sénateurs Olivier Cadic et Rachel Mazuir, de la commission des Affaires étrangères et des forces armées ont déclaré: «Nous assistons au développement d’une stratégie d’influence particulièrement active de la Chine, sous un narratif vantant l’efficacité de son modèle de surveillance généralisée (…) une guerre de la communication est enclenchée, destinée à réécrire l’Histoire pour préparer une reconfiguration du paysage géopolitique de l’après-crise.» On ne saurait mieux dire en l’occurrence l'Art de la ruse et de la guerre asymétrique…
Cette «diplomatie de la santé», qui surgit régulièrement lors des crises sanitaire de ce type, n’est pas propre à Pékin. Cuba bien sûr, mais aussi la Russie et la Turquie, de même que la France et plus récemment les Etats-Unis, la mettent en pratique. Ce qui est nouveau, c’est que cette aide chinoise s’adresse non seulement à ses alliés, mais aussi à Andorre, aux collectivités françaises d’outremer, et même aux Etats-Unis d’Amérique! De plus, il ne s’agit pas seulement d’une aide d’Etat, mais elle mobilise aussi des fondations, des provinces, des entreprises locales... Et si la distinction entre public et privé est très relative sous l’égide du PCC, cette variété d’acteurs sur la scène internationale, au service du narratif chinois, est une première…
Il est intéressant de noter que ces aides ne sont pas sans contreparties. Elles sont extrêmement ciblées et soumises à conditions: la Chine recherche avant toute chose des débouchés pour ses solutions technologiques de santé, et à imposer son entrée à quiconque s’y opposerait sur le marché des technologies de l’information dans certains pays. Stratégie de contournement oblige.
Ainsi, Pékin s’immisce insidieusement mais sûrement dans les systèmes de visioconférences en Turquie et en Italie, et offre de développer l’intelligence artificielle (IA) pour les hôpitaux en Equateur, se place partout en candidat incontournable aux marchés de la 5G, et souhaite surtout implanter son champion national Huawei dans les pays qu’elle soutient.
Par ailleurs, les nouveaux gisements de richesses que constituent les biotechnologies sont avant tout alimentés par les datas, cette matière première du nouveau siècle. L’après-crise qui se dessine d’ores et déjà ressemble à une lutte sans merci pour leur contrôle. Plus que le virus en lui-même, la Chine, par son exploitation politique actuelle de la pandémie, fait entrer le monde dans cet autre temps qu’est «La guerre hors limites» théorisée par deux officiers Chinois: Wang Xiangsui, Qiao Liang.
Ainsi les sénateurs Olivier Cadic et Rachel Mazuir, de la commission des Affaires étrangères et des forces armées ont déclaré: «Nous assistons au développement d’une stratégie d’influence particulièrement active de la Chine, sous un narratif vantant l’efficacité de son modèle de surveillance généralisée (…) une guerre de la communication est enclenchée, destinée à réécrire l’Histoire pour préparer une reconfiguration du paysage géopolitique de l’après-crise.» On ne saurait mieux dire en l’occurrence l'Art de la ruse et de la guerre asymétrique…
Cette «diplomatie de la santé», qui surgit régulièrement lors des crises sanitaire de ce type, n’est pas propre à Pékin. Cuba bien sûr, mais aussi la Russie et la Turquie, de même que la France et plus récemment les Etats-Unis, la mettent en pratique. Ce qui est nouveau, c’est que cette aide chinoise s’adresse non seulement à ses alliés, mais aussi à Andorre, aux collectivités françaises d’outremer, et même aux Etats-Unis d’Amérique! De plus, il ne s’agit pas seulement d’une aide d’Etat, mais elle mobilise aussi des fondations, des provinces, des entreprises locales... Et si la distinction entre public et privé est très relative sous l’égide du PCC, cette variété d’acteurs sur la scène internationale, au service du narratif chinois, est une première…
Il est intéressant de noter que ces aides ne sont pas sans contreparties. Elles sont extrêmement ciblées et soumises à conditions: la Chine recherche avant toute chose des débouchés pour ses solutions technologiques de santé, et à imposer son entrée à quiconque s’y opposerait sur le marché des technologies de l’information dans certains pays. Stratégie de contournement oblige.
Ainsi, Pékin s’immisce insidieusement mais sûrement dans les systèmes de visioconférences en Turquie et en Italie, et offre de développer l’intelligence artificielle (IA) pour les hôpitaux en Equateur, se place partout en candidat incontournable aux marchés de la 5G, et souhaite surtout implanter son champion national Huawei dans les pays qu’elle soutient.
Aussi, ces contreparties manifeste ne sont pas sans conséquence ni impact sur l’autonomie stratégique de ces pays. Créant dans la foulée de nouvelles dépendances politiques, financières et technologiques, et évinçant sans ménagement les concurrents occidentaux, dont la France…
Car c’est bien une vision alternative de l’ordre international que promeut Pékin dans le traitement politique de cette crise sanitaire, tout en reposant sa puissance future sur deux piliers: la santé et le numérique. Deux domaines d’activité phare qui vont de pair désormais, et qui ont aussi vocation à contrôler de biais, nos perceptions et nos vies, à défaut de toujours vouloir les sauver…
Ironie de l’histoire, notons au passage que Pékin est actuellement sollicité et même courtisé par toutes les nations du monde, dont la nôtre au premier chef, pour se fournir en masques de protection FFP2 contre le COVID19, alors même que le régime Chinois a visiblement grandement tardé à nous prévenir sur les risques réels encourus. Nous cachant de nombreuses informations d’importance qui auraient pourtant été vitales de connaitre d’emblée sur le nouveau coronavirus, afin de l’endiguer au plus vite. La fable du «pompier pyromane», toujours et encore…
Dès que les déplacements internationaux seront à nouveau permis d’ici à quelques semaines ou quelques mois, il faudra être très attentif aux futures visites d’Etat de Xi Jinping, qui a l’occasion du 100e anniversaire du PCC, sera le promoteur actif et zélé de cette nouvelle géopolitique des datas en faveur des objectifs stratégiques et prioritaires de son pays.
Atlantico: Les Etats-Unis semblent être en retard et furieux de cette nouvelle «influence chinoise» qui se développe à grand pas. Est-ce à dire que leur gestion géopolitique de la crise, à l’image de leur gestion sanitaire, est le grand perdant de ce nouveau bras de fer sur la scène internationale qui se dessine?
Les Etats-Unis sont la première économie du monde, et le pays qui détient le plus grand nombre de brevets. Et ceci, en partie grâce à sa détermination sans failles et sa capacité financière à investir dans la recherche. Il ne faut donc pas sous-estimer la puissance de rebond de ce pays, pas davantage que celle, personnelle et politique, de Donald Trump.
Et ne pas oublier non plus que le président des Etats-Unis a moins de pouvoir sur la scène intérieure de son pays, que n’importe quel autre chef d’Etat, car il s’agit d’un pays fédéral, construit autour de la protection du citoyen. Et que relativement à sa population, les Etats-Unis d’Amérique ne comptent à ce jour pas plus de malades du COVID 19 que la Suisse.
Bien sûr, la crise économique à venir frappera durement Washington comme le monde entier. Mais la capacité américaine à mobiliser ses ressources doit dès à présent être observée de très près. Car l’économie américaine a besoin avant toute chose d’exporter, et donc de clore rapidement ce chapitre désastreux de la pandémie virale.
Donald Trump a lancé toutes les forces vives de son pays dans la recherche tous azimuts du vaccin, comme dans le redressement de son économie qui devra impérativement intervenir avant le mois de novembre. Date buttoir des prochaines élections présidentielles américaines le concernant.
Mais les entreprises de haute technologie, comme les autres, connaîtront des jours difficiles. Et des concentrations sectorielles sont à prévoir, mais aussi des rééquilibrages dans la valorisation des start-up, voire des difficultés de financement pour les levées de fonds. Un changement de modèle financier doit être anticipé, qui privilégiera sans doute des rentabilités de court terme.
Mais la planète «Amérique» connait elle aussi une tectonique très particulière: le pays qui a vu naître les GAFAM et les réseaux sociaux, ces magnifiques machines de guerre à capter et engranger les données personnelles du monde entier, ne reste pas les bras croisés devant les coups de boutoir du Chinois Alibaba!
Un géant pharmaceutique comme Gilead Sciences, qui a investi des milliards de dollars dans la recherche d’un vaccin contre le Sida, sans résultat à ce jour, a gagné plus de 16% en bourse en une seule journée après la publication de résultats encourageants sur l’efficacité d’un antiviral contre le Covid-19: le «Remdesivir». Un médicament pourtant couteux, et qui n’est sans doute pas destiné aux marchés émergents s’il devait être commercialisé…
Car c’est bien une vision alternative de l’ordre international que promeut Pékin dans le traitement politique de cette crise sanitaire, tout en reposant sa puissance future sur deux piliers: la santé et le numérique. Deux domaines d’activité phare qui vont de pair désormais, et qui ont aussi vocation à contrôler de biais, nos perceptions et nos vies, à défaut de toujours vouloir les sauver…
Ironie de l’histoire, notons au passage que Pékin est actuellement sollicité et même courtisé par toutes les nations du monde, dont la nôtre au premier chef, pour se fournir en masques de protection FFP2 contre le COVID19, alors même que le régime Chinois a visiblement grandement tardé à nous prévenir sur les risques réels encourus. Nous cachant de nombreuses informations d’importance qui auraient pourtant été vitales de connaitre d’emblée sur le nouveau coronavirus, afin de l’endiguer au plus vite. La fable du «pompier pyromane», toujours et encore…
Dès que les déplacements internationaux seront à nouveau permis d’ici à quelques semaines ou quelques mois, il faudra être très attentif aux futures visites d’Etat de Xi Jinping, qui a l’occasion du 100e anniversaire du PCC, sera le promoteur actif et zélé de cette nouvelle géopolitique des datas en faveur des objectifs stratégiques et prioritaires de son pays.
Atlantico: Les Etats-Unis semblent être en retard et furieux de cette nouvelle «influence chinoise» qui se développe à grand pas. Est-ce à dire que leur gestion géopolitique de la crise, à l’image de leur gestion sanitaire, est le grand perdant de ce nouveau bras de fer sur la scène internationale qui se dessine?
Les Etats-Unis sont la première économie du monde, et le pays qui détient le plus grand nombre de brevets. Et ceci, en partie grâce à sa détermination sans failles et sa capacité financière à investir dans la recherche. Il ne faut donc pas sous-estimer la puissance de rebond de ce pays, pas davantage que celle, personnelle et politique, de Donald Trump.
Et ne pas oublier non plus que le président des Etats-Unis a moins de pouvoir sur la scène intérieure de son pays, que n’importe quel autre chef d’Etat, car il s’agit d’un pays fédéral, construit autour de la protection du citoyen. Et que relativement à sa population, les Etats-Unis d’Amérique ne comptent à ce jour pas plus de malades du COVID 19 que la Suisse.
Bien sûr, la crise économique à venir frappera durement Washington comme le monde entier. Mais la capacité américaine à mobiliser ses ressources doit dès à présent être observée de très près. Car l’économie américaine a besoin avant toute chose d’exporter, et donc de clore rapidement ce chapitre désastreux de la pandémie virale.
Donald Trump a lancé toutes les forces vives de son pays dans la recherche tous azimuts du vaccin, comme dans le redressement de son économie qui devra impérativement intervenir avant le mois de novembre. Date buttoir des prochaines élections présidentielles américaines le concernant.
Mais les entreprises de haute technologie, comme les autres, connaîtront des jours difficiles. Et des concentrations sectorielles sont à prévoir, mais aussi des rééquilibrages dans la valorisation des start-up, voire des difficultés de financement pour les levées de fonds. Un changement de modèle financier doit être anticipé, qui privilégiera sans doute des rentabilités de court terme.
Mais la planète «Amérique» connait elle aussi une tectonique très particulière: le pays qui a vu naître les GAFAM et les réseaux sociaux, ces magnifiques machines de guerre à capter et engranger les données personnelles du monde entier, ne reste pas les bras croisés devant les coups de boutoir du Chinois Alibaba!
Un géant pharmaceutique comme Gilead Sciences, qui a investi des milliards de dollars dans la recherche d’un vaccin contre le Sida, sans résultat à ce jour, a gagné plus de 16% en bourse en une seule journée après la publication de résultats encourageants sur l’efficacité d’un antiviral contre le Covid-19: le «Remdesivir». Un médicament pourtant couteux, et qui n’est sans doute pas destiné aux marchés émergents s’il devait être commercialisé…
Mais pour ces laboratoires, il faut à tout prix rester dans la course au traitement, et protéger coûte que coûte sa surface financière. Et cela, quels que soient les résultats réels des recherches en cours. Il leur faut aussi et naturellement se préserver pour les combats titanesques à venir.
De leur côté, les mastodontes «Apple et Google» ont créé une plateforme logicielle commune «clé en mains», qui est d’ores et déjà offerte gratuitement aux gouvernements du monde entier. Le tout, au prétexte de mettre en place des stratégies de «tracking intelligent» des populations infectées par le nouveau coronavirus, à des fins de bonne gestion sanitaire.
Souvenons-nous de ce dicton populaire: «si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit.» Car l’objectif est bien là: la captation massive de nos données qui est l’un des moteurs de la nouvelle économie. Et dans ce registre, les Américains ont plusieurs longueurs d’avance sur le reste du monde. Et cela, même face à un régime chinois très investi dans la reconnaissance faciale de sa population.
N’acceptons-nous pas également, bien trop facilement, de payer très cher une technologie mobile qui référence nos empreintes digitales personnelles par le truchement de nos téléphones portables. Et le tout, sans savoir exactement ce qu’elles deviennent ensuite, alors même que nous refusons par ailleurs de le faire gracieusement et civiquement, au bénéfice des services de renseignement ou de police de notre propres pays dont les actions régaliennes sont pourtant strictement encadrées par la loi française?
Ce paradoxe majeur est la clé même de la richesse et de l’énorme puissance de ces entreprises. Des richesses qui ne sont pas que financières, mais qui sont avant tout aussi celles des masses de données qu’elles stockent, qu’elles véhiculent et qu’elles investiguent inlassablement: les nôtres! Le Pentagone lui ne s’y est pas trompé, nouant à l’envie depuis bien des années d’énormes partenariats avec le top five de la Tech.
Atlantico: Cette véritable «guerre des données» que vous décrivez peut-elle changer le monde de la santé, et la santé du monde?
La fondation Bill et Melinda Gates vient de consacrer plus de 250 millions de dollars pour la recherche d’un vaccin contre le COVID 19 et «renforcer la détection dans les pays les plus pauvres». Il est fort à parier qu’il ne s’agit pas là uniquement d’une action caritative et désintéressée, au sens strict, en réaction à l’actualité immédiate, mais bien d’une stratégie d’investissement et d’influence de long terme.
Déjà, lors d’une conférence TED en 2015, Bill Gates évoquait ouvertement la question relative aux pandémies virales, tirant les enseignements de l’épidémie d’Ebola que le monde venait de connaître l’année précédente.
De même, le 3 mai 2009, Jacques Attali, l’emblématique ancien conseiller spécial de François Mitterrand, et actuel président-fondateur de «Positive Planet», évoquait dans une chronique intitulée «changer par précaution», l’occurrence d’une pandémie qui inspirerait un gouvernement mondial après les affres de la crise de H1N1. Il prônait à cet effet la mise en place de mécanismes de «prévention et de contrôle et des processus logistiques de distribution équitable de médicaments et de vaccins.» Sans préciser la forme exacte et les contours de ce dispositif, dont on devine à mi- mot qu’il devrait reposer pour l’essentiel sur l’utilisation d’un substrat de bases de données planétaires…
Car derrière ces investissements extrêmement massifs dans les secteurs de la santé, se dressent dans la pénombre des industries de pointe, celles des biotechnologies, qui regroupent la pharmacie, l’agroalimentaire, les questions environnementales, la chimie verte…
Au demeurant, tout ce que le monde moderne peut produire d’innovant dans les domaines de la santé et de l’alimentation qui sont aussi les deux faces de la vie humaine. Or, ces biotechnologies sont un enjeu majeur pour les marchés émergeants que sont l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique du Sud.
Elles sont avant tout un enjeu prioritaire pour les laboratoires qui doivent répondre à des exigences de santé bien sûr, mais aussi à des objectifs de production et de rentabilité, donc de marché.
Or, les datas et l’intelligence artificielle (IA) permettent d’anticiper sur les besoins des Hommes, d’influencer et d’agir sur leurs perceptions, voire de prédire leurs comportements individuels et collectifs.
Ceci est vrai pour l’économie (Nudge – économie comportementale), mais aussi indispensable pour les nouvelles pratiques politiques à travers l’indéniable montée en puissance des stratégies de Big-Data électorales. «Dis-moi qui tu es, je te dirai pour qui voter», titre tiré de l’excellent ouvrage d’Anaïs Theviot dont on ne saurait que trop conseiller la lecture.
Ceci explique qu’un géant de l’informatique comme Microsoft soit autant investi dans la recherche médicale. Et que Google soit au rendez-vous du tracking des populations infectées par le Covid19. De même que leur actionnaire commun: BlackRock, qui a créé dès 2017 à Londres un ETF (Exchange Traded Fund, ou fond coté en bourse) spécialisé sur les biotechnologies: iShares Nasdaq US biotechnology UCITS. BlackRock toujours, qui était présent lors du One Planet Summit de Paris en 2018, et qui a été associée au Climate Finance Partnership (CFP), destiné à investir dans des structures climatiques destinées aux marchés émergents.
En réalité, cette pandémie catalyse et entérine un changement de paradigme économique et financier notable: des fortunes vont changer de mains, créant de nouveaux pouvoirs, de nouvelles allégeances, de nouvelles interdépendances avec de nouvelles exigences et de nouvelles ambitions planétaires, pas toutes nécessairement teintées d’humanisme béat…
Atlantico: Dans cette configuration géopolitique, et à l’échelle du monde, la France a-t-elle des atouts à faire valoir ou est-elle condamnée à disparaître, écrasée entre deux «Data-puissances»?
Notre pays s’est toujours vécu comme une puissance d’équilibre, très jalouse de sa souveraineté pour continuer à peser dans les affaires du monde. C’était l’obsession du général de Gaulle, pour ne pas voir disparaître la France de l’Histoire, même au cœur des affres de la Guerre froide.
Dans le monde digitalisé qui est le nôtre, nous ne sommes pourtant pas démunis, même si nous n’avons aucun GAFAM. Et ne rêvons pas, nous n’en aurons jamais pour une raison assez simple et structurelle au fond: dans un pays fait d’institutions, de plafonds de verre et de normes administratives ubuesques et castratrices issues de la haute fonction publique, l’ambition des entrepreneurs et des créateurs s’effacent toujours devant le pouvoir incommensurable et l’hégémonie des administrateurs et des gestionnaires. Et cela, même si le «talent» ni le flair de certains d’entre eux ne nous a pas spécifiquement sauté aux yeux ces dernières années…
De leur côté, les mastodontes «Apple et Google» ont créé une plateforme logicielle commune «clé en mains», qui est d’ores et déjà offerte gratuitement aux gouvernements du monde entier. Le tout, au prétexte de mettre en place des stratégies de «tracking intelligent» des populations infectées par le nouveau coronavirus, à des fins de bonne gestion sanitaire.
Souvenons-nous de ce dicton populaire: «si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit.» Car l’objectif est bien là: la captation massive de nos données qui est l’un des moteurs de la nouvelle économie. Et dans ce registre, les Américains ont plusieurs longueurs d’avance sur le reste du monde. Et cela, même face à un régime chinois très investi dans la reconnaissance faciale de sa population.
N’acceptons-nous pas également, bien trop facilement, de payer très cher une technologie mobile qui référence nos empreintes digitales personnelles par le truchement de nos téléphones portables. Et le tout, sans savoir exactement ce qu’elles deviennent ensuite, alors même que nous refusons par ailleurs de le faire gracieusement et civiquement, au bénéfice des services de renseignement ou de police de notre propres pays dont les actions régaliennes sont pourtant strictement encadrées par la loi française?
Ce paradoxe majeur est la clé même de la richesse et de l’énorme puissance de ces entreprises. Des richesses qui ne sont pas que financières, mais qui sont avant tout aussi celles des masses de données qu’elles stockent, qu’elles véhiculent et qu’elles investiguent inlassablement: les nôtres! Le Pentagone lui ne s’y est pas trompé, nouant à l’envie depuis bien des années d’énormes partenariats avec le top five de la Tech.
Atlantico: Cette véritable «guerre des données» que vous décrivez peut-elle changer le monde de la santé, et la santé du monde?
La fondation Bill et Melinda Gates vient de consacrer plus de 250 millions de dollars pour la recherche d’un vaccin contre le COVID 19 et «renforcer la détection dans les pays les plus pauvres». Il est fort à parier qu’il ne s’agit pas là uniquement d’une action caritative et désintéressée, au sens strict, en réaction à l’actualité immédiate, mais bien d’une stratégie d’investissement et d’influence de long terme.
Déjà, lors d’une conférence TED en 2015, Bill Gates évoquait ouvertement la question relative aux pandémies virales, tirant les enseignements de l’épidémie d’Ebola que le monde venait de connaître l’année précédente.
De même, le 3 mai 2009, Jacques Attali, l’emblématique ancien conseiller spécial de François Mitterrand, et actuel président-fondateur de «Positive Planet», évoquait dans une chronique intitulée «changer par précaution», l’occurrence d’une pandémie qui inspirerait un gouvernement mondial après les affres de la crise de H1N1. Il prônait à cet effet la mise en place de mécanismes de «prévention et de contrôle et des processus logistiques de distribution équitable de médicaments et de vaccins.» Sans préciser la forme exacte et les contours de ce dispositif, dont on devine à mi- mot qu’il devrait reposer pour l’essentiel sur l’utilisation d’un substrat de bases de données planétaires…
Car derrière ces investissements extrêmement massifs dans les secteurs de la santé, se dressent dans la pénombre des industries de pointe, celles des biotechnologies, qui regroupent la pharmacie, l’agroalimentaire, les questions environnementales, la chimie verte…
Au demeurant, tout ce que le monde moderne peut produire d’innovant dans les domaines de la santé et de l’alimentation qui sont aussi les deux faces de la vie humaine. Or, ces biotechnologies sont un enjeu majeur pour les marchés émergeants que sont l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique du Sud.
Elles sont avant tout un enjeu prioritaire pour les laboratoires qui doivent répondre à des exigences de santé bien sûr, mais aussi à des objectifs de production et de rentabilité, donc de marché.
Or, les datas et l’intelligence artificielle (IA) permettent d’anticiper sur les besoins des Hommes, d’influencer et d’agir sur leurs perceptions, voire de prédire leurs comportements individuels et collectifs.
Ceci est vrai pour l’économie (Nudge – économie comportementale), mais aussi indispensable pour les nouvelles pratiques politiques à travers l’indéniable montée en puissance des stratégies de Big-Data électorales. «Dis-moi qui tu es, je te dirai pour qui voter», titre tiré de l’excellent ouvrage d’Anaïs Theviot dont on ne saurait que trop conseiller la lecture.
Ceci explique qu’un géant de l’informatique comme Microsoft soit autant investi dans la recherche médicale. Et que Google soit au rendez-vous du tracking des populations infectées par le Covid19. De même que leur actionnaire commun: BlackRock, qui a créé dès 2017 à Londres un ETF (Exchange Traded Fund, ou fond coté en bourse) spécialisé sur les biotechnologies: iShares Nasdaq US biotechnology UCITS. BlackRock toujours, qui était présent lors du One Planet Summit de Paris en 2018, et qui a été associée au Climate Finance Partnership (CFP), destiné à investir dans des structures climatiques destinées aux marchés émergents.
En réalité, cette pandémie catalyse et entérine un changement de paradigme économique et financier notable: des fortunes vont changer de mains, créant de nouveaux pouvoirs, de nouvelles allégeances, de nouvelles interdépendances avec de nouvelles exigences et de nouvelles ambitions planétaires, pas toutes nécessairement teintées d’humanisme béat…
Atlantico: Dans cette configuration géopolitique, et à l’échelle du monde, la France a-t-elle des atouts à faire valoir ou est-elle condamnée à disparaître, écrasée entre deux «Data-puissances»?
Notre pays s’est toujours vécu comme une puissance d’équilibre, très jalouse de sa souveraineté pour continuer à peser dans les affaires du monde. C’était l’obsession du général de Gaulle, pour ne pas voir disparaître la France de l’Histoire, même au cœur des affres de la Guerre froide.
Dans le monde digitalisé qui est le nôtre, nous ne sommes pourtant pas démunis, même si nous n’avons aucun GAFAM. Et ne rêvons pas, nous n’en aurons jamais pour une raison assez simple et structurelle au fond: dans un pays fait d’institutions, de plafonds de verre et de normes administratives ubuesques et castratrices issues de la haute fonction publique, l’ambition des entrepreneurs et des créateurs s’effacent toujours devant le pouvoir incommensurable et l’hégémonie des administrateurs et des gestionnaires. Et cela, même si le «talent» ni le flair de certains d’entre eux ne nous a pas spécifiquement sauté aux yeux ces dernières années…
Nous sommes une vieille nation structurée autour d’un Etat traditionnellement fort, qui donne une part essentielle à la position sociale de chacun (certains parleraient ici de «classes» ou «d’ordre»). Alors que les Etats-Unis, à contrario, offrent et récompensent celui qui prend délibérément son risque, et pousse ses chances de réussite au maximum.
Car dans ce contexte concurrentiel universel («greed is good»), et sous ce prisme idéologique du «chacun contre tous», le succès individuel fonde et renforce la cohésion de groupe. Pour sa part, la France demeure un Etat social qui protège traditionnellement les plus faibles, mais d’où en contrepartie personne n’émerge véritablement au fond, et ou les seules têtes qui dépassent doivent être doctement labélisées, parrainées ou dûment sponsorisées par les castes en place.
Cependant, et pour préserver les conditions de sa souveraineté, à commencer par celle de ses données, la France a hérité de son histoire des collectivités outremer sur tous les continents et dans tous les océans. Cela signifie que partout dans le monde, elle pourrait aisément stocker et protéger les données des particuliers et des entreprises dans des Datacenter en territoire souverain.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pire, les communications (donc toutes nos données) transitent par des câbles sous-marins, véritables dorsales stratégiques. Or, pour relier les Amériques à l’Europe, tous ces câbles passent irrémédiablement par… les Etats-Unis d’Amérique. «L’ami américain». Pas un seul ne relie les Antilles Françaises ou la Guyane (pourtant port spatial européen essentiel) directement à la France. Ce qui offrirait une solution alternative à la curiosité sans faille de la NSA pour nos données nationales, comme pour celles d’autres pays. Or, ces câbles sont en outre un élément-clé de la réussite du projet «e-santé», qui permet à chaque Français d’outremer de bénéficier à distance des savoir-faire des meilleurs spécialistes en médecine de la métropole.
De la même façon, la France manque drastiquement des «chevilles ouvrières» stratégiques pour le monde numérique d’aujourd’hui et de demain: les codeurs! Alors que des Français de talent s’exilent chaque année aux Etats-Unis pour créer d’initiative des leaders dans le monde à des fins de réussite personnelle, à l’image de l’école du code Holberton en Californie considérée comme l’une des meilleurs au monde selon Vinton Cerf lui-même dans Forbes, (co-inventeur avec Bob Kahn du protocole TCP/IP, il est considéré comme l'un des pionniers de l'internet), nous restons pourtant toujours enlisés dans des discussions sans fin pour créer ou implanter de telles structures d’enseignements prioritaires sur tous nos territoires.
Etablissements indispensables qui pourraient aussi offrir des débouchés immédiats et indéniables à tous nos compatriotes ultramarins, dont 40% des moins de 25 ans sont au chômage… De telles écoles ont vu le jour aux Etats-Unis, en Colombie, en Tunisie ou en Israël, mais aucune encore à Paris, qui se targue (à juste titre) d’être la capitale européenne des start-up et de l’innovation… Que fait la BPI?
A quoi devons-nous de perdre les premières batailles de toutes les guerres? Sans doute au choix des hommes, qui arrivés au fait de leur carrière, continuent d’appliquer les schémas tactiques rassurants mais datés de leur jeunesse. L’expérience rassure, certes, mais comme disait Brassens, elle est aussi «le privilège des c…»
Ainsi de notre champion national des biotechnologies et de la recherche médicale, héritage de plusieurs générations de médecins et d’entrepreneurs ambitieux: BioMérieux. Pour diriger sa fondation, cette entreprise leader a embauché l’an passé le général Bosser, ancien officier parachutiste devenu chef d’état-major de l’armée de terre. Sans doute pour ses talents d’organisateur et son carnet d’adresses africain fournis, moins pour ses compétences en matière de biotechnologies. Et pendant ce temps, Cedric O, aujourd’hui secrétaire d’Etat chargé du numérique (l'un des créateurs du mouvement présidentiel, et ancien organisateur de la «French Tech» de Las Vegas), qui avait d’ailleurs lancé la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, se tourne vers la solution «clef en main» - made in USA - «Apple-Google» pour l’application «StopCovid», un projet d’ingénierie sociale qui ambitionne pourtant de traquer les Français et leurs données à des fins de bonne gestion sanitaire.
Plutôt que d’armer la France par elle-même, ce proche du pouvoir préfère d’ores et déjà la livrer toute entière aux propositions «amicales» (et que l’on ne saurait sans doute refuser) à ses concurrents internationaux. Ses «meilleurs alliés» en somme, dans le cas présent. Etrange posture française, paradoxale et récurrente, chez nos stratèges d’Etat.
Marc Bloch aurait lui sans doute évoqué le terme «d’étrange défaite» aux yeux de certains observateurs. «Bon sang ne saurait mentir»: la diplomatie d’influence américaine ne s’y est d’ailleurs pas trompée. Delphine O, spécialiste des relations internationales, devenue, en mai 2019, ambassadrice — la plus jeune de l'histoire française à occuper ce poste —, secrétaire générale de la conférence mondiale de l’Organisation des Nations unies sur les femmes, apparaît aussi dans la promotion 2019 des «Young Leaders» de la French American Fondation: «En trente-huit ans, ce programme de la French-American Foundation, dont l'ambition est de resserrer les liens transatlantiques, a identifié des centaines de têtes bien faites, âgées de moins de 40 ans, et déjà sur les rails du pouvoir» selon les Echos.
Doux euphémisme pour certains, être allié devrait pourtant nous conduire à être beaucoup plus lucides et parfois même critiques selon les mots mêmes d’Olivier Marleix, vice-Président du Cercle Jefferson. Une véritable et franche amitié ne saurait d’ailleurs s’en offusquer. Rappelons-nous en à juste titre, à travers cette citations fort à propos des «Petites proses» de Michel Tournier: «La grande différence entre l'amour et l'amitié, c'est qu'il ne peut y avoir d'amitié sans réciprocité.» Doit-elle encore être équilibrée. France-Amérique, une histoire d’amour souvent contrariée: «Je t’aime… moi non plus» chantait Gainsbourg.
En l’Etat, le choix des hommes, de leurs réseaux, de leurs allégeances extérieures conditionne toujours l’avenir, mais également, les choix du présent.
Le nouveau monde n’est définitivement pas celui d’Orwell mais bien le nôtre, celui que nous avons voulu, celui pour lequel nous avons voté sans nous y intéresser vraiment. Nous y sommes entrés de plain-pied à l’occasion de cette pandémie mondiale, et ses conséquences géopolitiques, économiques et sociales sont encore inimaginables à ce jour pour la France. Il est bien trop tard pour regretter nos carences, notre impréparation et notre myopie d’hier. Notre étrange défaite en somme.
Ce temps où nous allions au théâtre et où les financiers regardaient les variations des cours du pétrole est révolu. C’était il y a seulement un mois… Il y a un siècle…
Car dans ce contexte concurrentiel universel («greed is good»), et sous ce prisme idéologique du «chacun contre tous», le succès individuel fonde et renforce la cohésion de groupe. Pour sa part, la France demeure un Etat social qui protège traditionnellement les plus faibles, mais d’où en contrepartie personne n’émerge véritablement au fond, et ou les seules têtes qui dépassent doivent être doctement labélisées, parrainées ou dûment sponsorisées par les castes en place.
Cependant, et pour préserver les conditions de sa souveraineté, à commencer par celle de ses données, la France a hérité de son histoire des collectivités outremer sur tous les continents et dans tous les océans. Cela signifie que partout dans le monde, elle pourrait aisément stocker et protéger les données des particuliers et des entreprises dans des Datacenter en territoire souverain.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pire, les communications (donc toutes nos données) transitent par des câbles sous-marins, véritables dorsales stratégiques. Or, pour relier les Amériques à l’Europe, tous ces câbles passent irrémédiablement par… les Etats-Unis d’Amérique. «L’ami américain». Pas un seul ne relie les Antilles Françaises ou la Guyane (pourtant port spatial européen essentiel) directement à la France. Ce qui offrirait une solution alternative à la curiosité sans faille de la NSA pour nos données nationales, comme pour celles d’autres pays. Or, ces câbles sont en outre un élément-clé de la réussite du projet «e-santé», qui permet à chaque Français d’outremer de bénéficier à distance des savoir-faire des meilleurs spécialistes en médecine de la métropole.
De la même façon, la France manque drastiquement des «chevilles ouvrières» stratégiques pour le monde numérique d’aujourd’hui et de demain: les codeurs! Alors que des Français de talent s’exilent chaque année aux Etats-Unis pour créer d’initiative des leaders dans le monde à des fins de réussite personnelle, à l’image de l’école du code Holberton en Californie considérée comme l’une des meilleurs au monde selon Vinton Cerf lui-même dans Forbes, (co-inventeur avec Bob Kahn du protocole TCP/IP, il est considéré comme l'un des pionniers de l'internet), nous restons pourtant toujours enlisés dans des discussions sans fin pour créer ou implanter de telles structures d’enseignements prioritaires sur tous nos territoires.
Etablissements indispensables qui pourraient aussi offrir des débouchés immédiats et indéniables à tous nos compatriotes ultramarins, dont 40% des moins de 25 ans sont au chômage… De telles écoles ont vu le jour aux Etats-Unis, en Colombie, en Tunisie ou en Israël, mais aucune encore à Paris, qui se targue (à juste titre) d’être la capitale européenne des start-up et de l’innovation… Que fait la BPI?
A quoi devons-nous de perdre les premières batailles de toutes les guerres? Sans doute au choix des hommes, qui arrivés au fait de leur carrière, continuent d’appliquer les schémas tactiques rassurants mais datés de leur jeunesse. L’expérience rassure, certes, mais comme disait Brassens, elle est aussi «le privilège des c…»
Ainsi de notre champion national des biotechnologies et de la recherche médicale, héritage de plusieurs générations de médecins et d’entrepreneurs ambitieux: BioMérieux. Pour diriger sa fondation, cette entreprise leader a embauché l’an passé le général Bosser, ancien officier parachutiste devenu chef d’état-major de l’armée de terre. Sans doute pour ses talents d’organisateur et son carnet d’adresses africain fournis, moins pour ses compétences en matière de biotechnologies. Et pendant ce temps, Cedric O, aujourd’hui secrétaire d’Etat chargé du numérique (l'un des créateurs du mouvement présidentiel, et ancien organisateur de la «French Tech» de Las Vegas), qui avait d’ailleurs lancé la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, se tourne vers la solution «clef en main» - made in USA - «Apple-Google» pour l’application «StopCovid», un projet d’ingénierie sociale qui ambitionne pourtant de traquer les Français et leurs données à des fins de bonne gestion sanitaire.
Plutôt que d’armer la France par elle-même, ce proche du pouvoir préfère d’ores et déjà la livrer toute entière aux propositions «amicales» (et que l’on ne saurait sans doute refuser) à ses concurrents internationaux. Ses «meilleurs alliés» en somme, dans le cas présent. Etrange posture française, paradoxale et récurrente, chez nos stratèges d’Etat.
Marc Bloch aurait lui sans doute évoqué le terme «d’étrange défaite» aux yeux de certains observateurs. «Bon sang ne saurait mentir»: la diplomatie d’influence américaine ne s’y est d’ailleurs pas trompée. Delphine O, spécialiste des relations internationales, devenue, en mai 2019, ambassadrice — la plus jeune de l'histoire française à occuper ce poste —, secrétaire générale de la conférence mondiale de l’Organisation des Nations unies sur les femmes, apparaît aussi dans la promotion 2019 des «Young Leaders» de la French American Fondation: «En trente-huit ans, ce programme de la French-American Foundation, dont l'ambition est de resserrer les liens transatlantiques, a identifié des centaines de têtes bien faites, âgées de moins de 40 ans, et déjà sur les rails du pouvoir» selon les Echos.
Doux euphémisme pour certains, être allié devrait pourtant nous conduire à être beaucoup plus lucides et parfois même critiques selon les mots mêmes d’Olivier Marleix, vice-Président du Cercle Jefferson. Une véritable et franche amitié ne saurait d’ailleurs s’en offusquer. Rappelons-nous en à juste titre, à travers cette citations fort à propos des «Petites proses» de Michel Tournier: «La grande différence entre l'amour et l'amitié, c'est qu'il ne peut y avoir d'amitié sans réciprocité.» Doit-elle encore être équilibrée. France-Amérique, une histoire d’amour souvent contrariée: «Je t’aime… moi non plus» chantait Gainsbourg.
En l’Etat, le choix des hommes, de leurs réseaux, de leurs allégeances extérieures conditionne toujours l’avenir, mais également, les choix du présent.
Le nouveau monde n’est définitivement pas celui d’Orwell mais bien le nôtre, celui que nous avons voulu, celui pour lequel nous avons voté sans nous y intéresser vraiment. Nous y sommes entrés de plain-pied à l’occasion de cette pandémie mondiale, et ses conséquences géopolitiques, économiques et sociales sont encore inimaginables à ce jour pour la France. Il est bien trop tard pour regretter nos carences, notre impréparation et notre myopie d’hier. Notre étrange défaite en somme.
Ce temps où nous allions au théâtre et où les financiers regardaient les variations des cours du pétrole est révolu. C’était il y a seulement un mois… Il y a un siècle…