“O Putinismo não é uma ideologia (conservadora, nacionalista, eurasista), nem um projeto político (vingança da história, neo-imperialismo, neo-sovietismo). O Putinismo apresenta-se antes de tudo como uma estratégia política que visa mostrar sua força, e às vezes usá-la, para fortalecer um poder kremlinocêntrico e kremlinocentrípeto com um objetivo principal, que nunca varia: defender o Estado russo contra as forças hostis que o ameaçam, de dentro e de fora. O Putinismo é filho da perestroika e do colapso da URSS e bisneto da Revolução Russa e do colapso do Império Russo.”
Qu’est-ce que le poutinisme?
Dès le lendemain du déclenchement de l’offensive russe contre l’Ukraine le 24 février 2022, la question est posée du soutien de la société russe, et plus particulièrement des élites – y compris au sommet – à une guerre d’une ampleur sans précédent sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale, qui plus est, susceptible d’être perçue en Russie comme fratricide. D’emblée, cette offensive se présente comme une épreuve pour le poutinisme. Des études sociologiques indiquent que son rôle de chef de guerre aurait permis à Vladimir Poutine d’étendre, et même de renforcer le socle de sa légitimité politique[1]. Néanmoins, le prolongement des opérations, voire son évolution en guérilla, pourrait changer le regard des Russes, et des élites russes, sur la stratégie choisie par le président russe.
Officiellement,
la Russie mène une opération de libération de l’Ukraine, placée sous le joug de
dirigeants qualifiés de « clique d’usurpateurs ». Cette opération est
ponctuée de mesures présentées comme ponctuelles d’élimination ciblée des
forces nationalistes ukrainiennes les plus radicales, qualifiées de
« nazies ». Jusqu’ici, la propagande officielle russe qui accompagne
les opérations semble porter ses fruits, en ce sens que la dimension offensive
de cette guerre reste masquée aux yeux des Russes. L’usage de la force puise
aux sources du poutinisme. Il n’est donc pas illogique qu’il agisse, dans un
premier temps, comme un bain de jouvence. Car le poutinisme n’est ni une
idéologie (conservatrice, nationaliste, eurasiste), ni un projet politique
(revanche sur l’histoire, néo-impérialisme, néosoviétisme). Le poutinisme se
présente d’abord comme une stratégie politique visant à montrer sa force, et
parfois à en faire usage, afin de renforcer un pouvoir kremlinocentrique[2] et kremlinocentripète avec un
objectif principal, qui ne varie jamais : défendre l’État russe contre les
forces hostiles qui le menacent, de l’intérieur comme de l’extérieur. Le
poutinisme est à la fois l’enfant de la perestroïka et de la chute de l’URSS et
l’arrière-petit-enfant de la révolution russe et de la chute de l’Empire russe.
Le césarisme poutinien
L’image
a fait le tour du monde. La scène se passe à Moscou, le 21 août 1991. Boris
Eltsine, élu deux mois plus tôt président de la Russie au suffrage universel,
radieux, est juché sur un char, avec en arrière-plan le drapeau tricolore
russe. Il annonce triomphalement l’échec du putsch contre Gorbatchev. En
imposant son autorité aux ministères régaliens de l’URSS, le premier président
russe précipite l’éviction de Gorbatchev et la chute de l’URSS, qui intervient
quatre mois plus tard. Deux ans après, en octobre 1993, Eltsine dissout le
Parlement. Il ordonne aux forces de sécurité intérieure de prendre l’assaut du
bâtiment, au sein duquel certains opposants armés se sont retranchés.
L’offensive fait 150 morts. Eltsine déclare l’état d’urgence, suspend les
institutions et convoque un référendum pour faire adopter, quelques semaines
plus tard, la première Constitution libérale et démocrate de l’histoire de la
Russie. Libéralisme et démocratie, dans la nouvelle Russie, sont donc marqués
du sceau indélébile du césarisme.
À lire également: Pourquoi Vladimir Poutine voit des «nazis» en Ukraine
Héritier
désigné par Boris Eltsine avant d’être consacré par le suffrage universel,
Vladimir Poutine se saisit du flambeau césariste des origines. L’assaut se
porte alors contre les foyers terroristes du Nord-Caucase. Cette deuxième
guerre intérieure en Tchétchénie (après celle de 1994-1996) fonde le
poutinisme. Elle pose l’image médiatique du nouveau président, alors totalement
inconnu des Russes, en chef de guerre auquel on attribue l’intention de
rétablir l’ordre, l’autorité de l’État, la puissance de la Russie. Appuyé,
contrairement à son prédécesseur, par une forte majorité parlementaire,
Vladimir Poutine consolide son autorité. Si la Constitution russe demeure
d’essence libérale, la pratique du pouvoir prend une tournure autoritaire de
plus en plus affirmée. Le césarisme de Vladimir Poutine associe une forme
démocratique de légitimité à une réalité monarchique du pouvoir. Le jeu
démocratique est limité par l’ultra-majorité détenue par le parti du pouvoir,
Russie unie, au Parlement et dans presque toutes les régions depuis 2004. Les
forces d’opposition doivent accepter de ne limiter leurs critiques qu’à la
politique économique et sociale, faute de quoi elles se voient écarter du jeu
électoral et de l’espace public. Aujourd’hui, l’opposition hors système n’a
plus de visibilité en Russie.
L’élite du pouvoir et l’oligarchie d’État
Le
poutinisme ne se limite pas à un mode autoritaire d’exercice du pouvoir, à un
discours politique conservateur ou à l’expression d’une volonté de restaurer la
puissance de la Russie sur la scène internationale. C’est aussi un système de
pouvoir qui s’appuie sur une élite du pouvoir loyale, un noyau dur restreint
autour d’une garde prétorienne[3] constituée d’hommes qui, pour nombre
d’entre eux, sont issus de la mairie de Saint-Pétersbourg où Vladimir Poutine a
accompli le début de sa carrière politique dans les années 1990-1996. On
retrouve ce noyau dur aujourd’hui au sommet de l’État russe, aux postes-clefs
régaliens (sécurité, intérieur, défense, justice et parquet général) comme aux
postes clés de la korpokratura, ces nouveaux grands patrons issus de
l’appareil d’État, placés par le président à la tête des grands groupes et des
conglomérats d’État (ou contrôlés par l’État) afin de mieux piloter les
secteurs stratégiques de l’économie (énergie, technologies de pointe, armement,
infrastructures et chaînes logistiques…). La naissance de cette nouvelle
oligarchie d’État, vers la fin de la décennie 2000, témoigne de ce que Vladimir
Poutine a réussi à inverser le rapport de force entre l’État russe et les
oligarques qui s’était instauré, dans les années 1990, dans le contexte de la
faiblesse et du fort endettement extérieur de la Russie, très en faveur de ces
derniers.
Le retour de la puissance russe
Dans
les années 2000, le «rétablissement de la verticale du pouvoir» par Poutine, en
interne, coïncide avec une flambée du prix des hydrocarbures sur le marché
mondial, qui permet à la Russie d’opérer un réel décollage économique et
d’envisager, au-delà de son désendettement, une stratégie de modernisation et
de développement économique. Le mieux-être économique permet une amélioration
très nette du niveau de vie moyen de la population, auprès de laquelle
l’ascension politique de Poutine coïncide avec pouvoir d’achat et accession à
la consommation. Pour de nombreux Russes, le poutinisme est synonyme d’un
quotidien qui s’améliore et d’un style de vie qui se rapproche des standards
occidentaux. Collectivement, ce boom économique offre à la Russie et aux Russes
une revanche sur les humiliations subies au cours des années 1990, avec la
chute de l’URSS, suivie de la paupérisation massive liée aux réformes
économiques et à la privatisation.
À lire également: Poutine par lui-même. La conquête, du pouvoir
Le
discours prononcé par Vladimir Poutine en février 2007 à Munich marque un
tournant de la politique extérieure russe. Le président russe affirme une
volonté de puissance et emploie un vocabulaire offensif inédit, qui ne fera que
se renforcer par la suite. Il s’agit de s’opposer au monde unipolaire (dominé
par Washington) de l’après-guerre froide et de faire de la Russie un des pôles
majeurs du monde multipolaire en gestation. Moscou avait déjà contesté la
prétention américaine à consolider sa domination unipolaire, en 1999 –
opposition aux frappes de l’OTAN contre la Serbie – et en 2003 – veto contre la
guerre américano-britannique en Irak. Après Munich, la Russie monte le ton.
Lors du sommet de l’OTAN à Bucarest (2008), Moscou s’insurge contre une
éventuelle adhésion de la Géorgie et/ou de l’Ukraine à l’OTAN, perçues comme
autant de menaces pour la sécurité nationale. Joignant le geste à la parole, la
Russie intervient militairement en Géorgie pour soutenir la république
sécessionniste d’Ossétie du Sud contre Tbilissi. En 2014, l’éviction du
président ukrainien Ianoukovitch est analysée, à Moscou, comme un coup d’État
issu non pas d’une révolte populaire, mais d’un travail en profondeur d’ONG
instrumentalisées de longue date par les États occidentaux afin de faire
basculer l’Ukraine dans leur camp. Après ce changement de pouvoir, jugé
illégitime, à Kiev, Moscou annexe la Crimée, après un référendum sans équivoque
en faveur du rattachement de la péninsule à la Fédération de Russie, puis
soutient, pendant huit ans, la rébellion armée des républiques sécessionnistes
de Donetsk et de Lougansk, dans l’est de l’Ukraine, prélude à l’enclenchement
de la grande offensive lancée en février contre l’Ukraine.
Le consensus poutinien a-t-il un avenir?
Le
consensus de la société russe autour du poutinisme s’est construit sur un
rapport d’allégeance, plutôt que d’adhésion au pouvoir. Si l’entrée en guerre
contre l’Ukraine semble, au début de celle-ci, susciter la consolidation de ce
consensus, de nombreux éléments conduisent à s’interroger sur la pérennité à
plus long terme de ce consensus poutinien. Rappelons que la phase
ascensionnelle du poutinisme a correspondu à une période de fort développement
économique : entre 2000 et 2020, le PIB de la Russie a triplé et le
PIB/habitant, qui représentait en 2000 à peine un tiers de celui de la France,
s’élève aujourd’hui à plus de la moitié de celui de la France[4]. Ce mieux-être économique s’est
accompagné d’une forte hausse du prestige international de la Russie, en
particulier aux yeux des Russes eux-mêmes. Or, les indicateurs
socio-économiques sont aujourd’hui bien plus mauvais. S’il est encore tôt pour
mesurer l’impact des sanctions occidentales sur la population russe, il semble
indiscutable qu’il provoquera a minima une stagnation du niveau de vie et une
baisse de la consommation. Cette crise prévisible sera perçue comme une
dégradation supplémentaire dans le contexte d’une baisse du niveau de vie
constante, pour la majorité des Russes, depuis le milieu des années 2010. En
outre, comment une mise au ban durable de la Russie sera-t-elle perçue? Le « tournant vers l’Est », c’est-à-dire vers la
Chine, de la politique étrangère russe, une évolution qui devrait s’accélérer
du fait de la guerre en Ukraine, réussira-t-elle à produire des dividendes
économiques palpables pour la population ? Pourra-t-on, dans une société
de consommation telle que la société russe, se passer des marques occidentales
et se contenter des marques chinoises ? Quid d’une Russie, même prospère,
totalement réorientée vers l’Asie ? Quelles sont les limites d’un
autoritarisme politique qui, à la faveur de cette « opération
spéciale », s’est renforcé au point de bannir toute voix dissidente de
l’espace public ? Quid d’un groupe élitaire consolidé autour du chef du
Kremlin, mais vieillissant, et qui doit désormais impérativement organiser sa
successio?
À lire également: Poutine,
le gaz et l’Europe
[1] Voir
l’étude du Centre Levada, 30 mars 2022:
https://www.levada.ru/2022/03/30/odobrenie-institutov-rejtingi-partij-i-politikov/
[2] Jean-Robert
Raviot, Qui dirige la Russie?, Lignes de Repères, 2007.
[3] Jean-Robert
Raviot, «Le prétorianisme russe: l’exercice du pouvoir selon Vladimir Poutine»,
Hérodote, no 166/167, 2017.
[4] Chiffres
de la Banque mondiale, en PPP. Voir https://data.worldbank.org
Mots-clefs: Poutine, Poutinisme, Russie
À propos de
l’auteur: Jean-Robert
Raviot
Docteur en
sciences politiques. Professeur de civilisation russe contemporaine à
l'université Paris-Nanterre.
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